(La version italienne date de 1994, j'ai trouvé cette traduction sur Internet vers 1997,
et il est paru en France à la même époque dans son excellent recueil de textes
Comment voyager avec un Saumon.
La traduction n'est pas la même, je suppute un passage par l'anglais.
Au mépris du droit d'auteur, je le reproduis ici
en conseillant toutefois à quiconque de lire à peu près tout ce qui peut tomber sous la
main de ce génial auteur (Le Nom de la Rose et Le Pendule de Foucault pour commencer.
La dichotomie Mac/DOS a disparu depuis 94, mais elle devait être pertinente à l'époque. Je me
demande dans quelle mesure on pourrait transposer à une autre guerre sainte, Linux vs. Windows®)
Une attention trop faible a été accordée à la nouvelle guerre religieuse souterraine qui transforme le monde moderne. C'est une de mes vielles idées, mais je découvre qu'à chaque fois que j'en parle aux gens, ils sont d'accord avec moi.
Le fait est que le monde est divisé entre les utilisateurs d'ordinateurs Mac et les utilisateurs d'ordinateurs compatibles MS-DOS. Je suis entièrement convaincu que le Mac est Catholique et le DOS Protestant. En effet, le Mac est contre-réformiste et a été influencé par le "ratio studiorum" des Jésuites. C'est un système gai, convivial, amical, il dit au croyant comment il doit procéder étape par étape pour atteindre - sinon le Royaume des Cieux - le moment où le document est imprimé. C'est une forme de cathéchisme : l'essence de la révélation est abordée au moyen de formules simples et d'icônes somptueuses. Chacun a droit au Salut.
DOS est Protestant, voire Calviniste. Il permet la libre interprétation des écritures, réclame des décisions personnelles difficiles, impose une herméneutique subtile àl'utilisateur et tient pour acquis que tout le monde ne peut pas atteindre le Salut. Afin de faire fonctionner le système, il faut interpréter soi-même le programme : loin de la communauté baroque des fêtards, l'utilisateur est enfermé à l'intérieur de la solitude de ses propres tourments.
On pourrait répondre que, avec le passage à Windows, l'univers DOS finit par ressembler davantage à la tolérance contre-réformiste du Macintosh. C'est vrai : Windows représente un schisme de type Anglican, avec cérémonies en grandes pompes dans la Cathédrale, mais il reste toujours une possibilité d'un retour au Dos pour changer les choses en accord avec les décisions étranges; quand c'est le cas, vous pouvez décider d'autoriser les femmes et les homos à être ministre du culte si vous le souhaitez.
Et le code machine, qui est la clé des deux systèmes (ou environnements, si vous préférez) ? Ah, il est lié a l'Ancien Testament et il est talmudique et cabalistique...»
Umberto Eco
On pourra lire sur le même thème : Et si les systèmes d'exploitation étaient des religions ?